Concerts Classiques Épinal

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Les échos de la saison 2024/2025

Les Échos du Concert du Dimanche 19 janvier 2025

Un joyeux anniversaire à Johann Strauss fils !

© Concerts Classiques d'Épinal

Avec quelques mois d'avance sur le calendrier, les Concerts Classiques d'Épinal, l'Orchestre National de Mulhouse et Christoph Koncz ont célébré les 200 ans de la naissance de Johann Strauss fils, qui voit le jour dans la Vienne impériale de Ferdinand V, le 25 octobre 1825. Mais c'est sous le règne de son successeur, François-Joseph, que sa gloire dépasse les frontières de l'empire austro-hongrois apportant comme l'écrit Alain Duault « cette fameuse Gemütlichkeit à un peuple qui voulait s'identifier à la vraie gentillesse de son souverain. » Les quelque 479 opus de Johann Strauss fils s'inscrivent dans un courant paradoxal de l'histoire autrichienne. En 1866, l'Autriche est écrasée par la Prusse lors de la bataille de Sadowa. La guerre de 1870 a pour effet l'unification de l'Allemagne et la fin de l'hégémonie autrichienne. De fait, Berlin devient la plus importante et la plus grande des villes allemandes. Ces événements n'émeuvent pas outre-mesure l'intelligentsia autrichienne qui ironise : « La situation est certes désespérée, mais on ne peut pas dire qu'elle soit vraiment grave. » Cette élite s'intéressait davantage à conquérir « le monde intérieur de l'homme » et était pleinement consciente de la désintégration d'un monde qui lui avait assuré la sécurité pendant 600 ans. Si l'Exposition universelle de 1873 avait été un échec cuisant, la première de la Chauve-Souris la même année avait imposé Vienne, capitale du monde de l'opérette, puis de celui de la valse et de la musique légère. Quel paradoxe !
L'an dernier, nous écrivions : « La musique viennoise a des exigences tout à fait particulières faite d'un élan irrésistible, de fluidité, de souplesse dans la conduite des lignes et d'équilibre entre les pupitres et d'un sens du rubato qui doit être à peine perceptible. » Christoph Koncz préside aux destinées de l'Orchestre National de Mulhouse depuis 2023. Autrichien et violoniste de formation, il a occupé pendant 17 ans le poste de chef d'attaque des seconds violons des Wiener Philharmoniker et a pu saisir toutes les subtilités de l'essence de cette musique sous la direction des plus grands chefs invités à diriger le traditionnel concert du Nouvel An. Dirigeant tout le programme sans partition, il réussit pleinement à conquérir la ferveur et l'enthousiasme des musiciens et du public. Après une ouverture vive et endiablée de la Chauve-souris, Christoph Konz enchaîne avec une Valse de l'Empereur menée avec grâce et avec ce léger et délicat rubato que l'on retrouvera dans la Pizzicato Polka, dans la Valse des sphères de Joseph Strauss et dans le Beau-Danube bleu qu'il introduit avec une extrême finesse des cordes et du cor solo. Et si la partie officielle se referme sous Le tonnerre et les éclairs, le concert se clôt avec la Marche de Radetzky sous les bravos cadencés d'un public heureux.
Olivier Erouart

© Concerts Classiques d'Épinal

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Les Échos du Concert du Vendredi 6 décembre 2024

LE BARDE, CET OUBLIE DE NOS SCENES

© Concerts Classiques d'Épinal

Le barde était autrefois un poète, en particulier celui qui écrivait des vers passionnés, lyriques ou épiques. Il était aussi à l'origine un compositeur celtique d'éloges et de satires ; le mot en est venu à désigner plus généralement un poète-chanteur tribal doué pour composer et réciter des vers sur les héros et leurs actes. C'est vous dire si ce mot et cette acception du « poète-chanteur » a parcouru quelques siècles.
Dès le Ie siècle de notre ère, l'auteur latin Lucain faisait référence aux bardes comme étant les poètes nationaux ou les ménestrels de la Gaule et de la Bretagne. En Gaule, l'institution disparut peu à peu, alors qu'elle survécut en Irlande et au Pays de Galles. Mieux encore, elle a connu un coup de neuf dans les pays scandinaves au 19ème siècle. Rappelons au passage que « The Curious Bards » n'a vu le jour que voici une petite dizaine d'années puisque son créateur l'a lancé sur les fonts baptismaux en 2015. Une paille au regard de l'âge et de l'origine des musiques distillées ce 6 décembre puisqu'allant de 1784 à 1834, certaines n'étant pas datées avec précision.
C'est dire si le nom du groupe qui a animé le concert de cette St-Nicolas 2024 a quelque peu intrigué les mélomanes de l'agglomération spinalienne. Et ce d'autant que celui-ci donne une double acception, « pluriel et curieux », en traduisant littéralement leur appellation. Des bardes des temps modernes qui ont montré infiniment de talent pour faire briller les joyaux des musiques traditionnelles du monde gaëlique et celtique.
« Pluriel » car ils étaient quatre autour d'Alix Boivert, leur directeur artistique, Sarah Van Oudenhove, J-Christophe Morel, Colin Heller et Ilektra Platiopoulou, splendide « mezzo-soprano ».
« Pluriel » car revisitant la Norvège et la Suède en danses et en chansons.
« Curieux » puisqu'ils sont des « musiciens-chercheurs » sans cesse en éveil, enquêtant, expérimentant, triturant le passé à travers une recherche sans cesse renouvelée des publications et manuscrits de leurs illustres ancêtres.
« Curieux » car l'affiche avait fort justement suscité interrogations et envie de nouveaux horizons.
En tout cas à l'arrivée, un ensemble qui a magnifié une remise au goût du jour de musiques oubliées. Un travail qui dépasse le travail de l'historien pur et dur puisque leur objectif était bien d'être en totale harmonie avec la musique traditionnelle, notamment baroque, pour plus d'humanité et de spiritualité. Une gageure sans doute puisque seuls, les manuscrits originels sont là juste pour initier les musiques et les paroles. Mais l'amour de la musique et le sens des notes étaient omniprésents et ont fait que chacun a passé avec ce « club des cinq » un savoureux moment de musique et de spectacle.
Mais c'est sans doute la diversité et l'originalité des instruments est sans doute le second point majeur à retenir de cette soirée éclectique et pleine de diversité. Du « nickelharpa » au « hardingfele », un violon, qui n'est autre que l'instrument de musique national de la Norvège.

© Concerts Classiques d'Épinal

© Concerts Classiques d'Épinal

Passant d'une gigue irlandaise à un "Reel" endiablé écossais, (sans oublier quelques ballades ou lamentations), cette soirée aura été perçue comme un tourbillon ensorceleur, "du folk baroque flamboyant". Nul doute que la curiosité était souvent de mise dans les rangs quant à cette musique singulière, colorée et rythmée. On peut sans conteste affirmer qu'elle a été comblée par la prestation des « Curious Bards » qui jouent avec ou sans partitions, avec fulgurance. Avec à la clé un enthousiasme bien agréable qui ont fait résonner les voûtes de la Basilique St-Maurice.
Jean-Pierre Bégel

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Les Échos du Concert du Dimanche 17 novembre 2024

CONVERSATIONS INTIMES !

© Concerts Classiques d'Épinal

Une saison des Concerts Classiques d'Épinal ne peut se concevoir sans une invitation faite à de jeunes talents même si on peut regretter la frilosité d'un certain public désireux de n'entendre que les « grands noms ». Après avoir été accueilli à Erstein dans le cadre du Festival Piano au Musée Würth, le Trio Zerline était l'invité de notre 78e saison, le dimanche 17 novembre.
C'est en 2017 que trois jeunes étudiantes du Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon décident de se réunir pour fonder le Trio Zerline qui a la singularité d'être composé d'une flûtiste (Emma Landarrabilco), d'une harpiste (Joanna Ohlmann) et d'une altiste (Estelle Gourinchas). Formation assez rare, d'autant plus que le répertoire ne saurait égaler celui des autres trios chambristes. Aussi nos artistes n'hésitent-elles pas à solliciter quelques compositeurs de notre temps ou à jouer des transcriptions comme celle des Children's Corner de Claude Debussy.
À tout seigneur, tout honneur, ce concert débutait avec le Terzettino de Théodore Dubois (1837-1934), première oeuvre de l'histoire de la musique composée pour les trois instruments. D'une écriture charmante voire de salon, la partition laisse davantage dialoguer la flûte et l'alto sur un doux accompagnement de harpe. Ecrite dix ans après ce Terzettino, la Sonate pour flûte, alto et harpe de Debussy est d'une tout autre ambition. En 1914, Debussy envisage la composition de six sonates dans l'esprit des Maîtres anciens. La maladie l'empêchera de mener son vaste projet à son terme et seules trois sonates verront le jour. La deuxième que nos amies ont interprétée répond aux désirs de son auteur : « La Musique doit humblement chercher à faire plaisir... Il faut que la beauté soit sensible, qu'elle nous procure une jouissance immédiate. » Dès l'entame (flûte, harpe puis alto), c'est une douce nostalgie qui submerge l'auditeur. Pourtant, des accents rauques, grinçants nous rappellent la tragédie de la Première Guerre mondiale. L'oeuvre exige une subtilité et un équilibre sonore, sans que les individualités ne soient brimées, car Debussy leur laisse des moments solistes. Très à l'écoute par l'oreille mais aussi par les regards complices, les trois musiciennes interprètent ce « chef d'oeuvre suprême » (Harry Halbreich) avec sobriété et spontanéité. Originellement pour piano, les six pièces des Children's Corner ont été arrangées pour flûte, alto et harpe par Fabrice Pierre, harpiste et professeur au CNSM de Lyon. Cette transcription pleine de charme et d'élégance (Doctor Gradus ad Parnassum) manque toutefois de contrastes et de vivacité (The snow is dancing et Golliwogg's cakewalk). D'origine polonaise, Ladislas Rohozinski (1886-1938) fait ses études musicales à Paris avec Eugène Gigout et Vincent d'Indy. Les six courtes pièces de sa Suite brève composée en 1923 auront été pour l'auteur de ces lignes une heureuse découverte et elles traduisent une indéniable influence française : Albert Roussel, dédicataire de la partition, par l'énergie rythmique, Ravel par les couleurs des timbres. Debussy par le climat général de l'oeuvre qui peut faire songer à certains moments aux Danses sacrée et profane. Les trois jeunes artistes en donnent une interprétation très fluide, contrastée et sensible. Un extrait des Scènes de la forêt de Mel Bonis (1858-1937) à l'origine pour flûte, cor et harpe chatoyant et plein de charme donné en bis referme ces conversations intimes.
Olivier Erouart

© Concerts Classiques d'Épinal

© Concerts Classiques d'Épinal

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Les Échos du Concert du Dimanche 13 octobre 2024

SUR LES RIVES DE LA MER, PHILIPPE ET CLEMENT !

© Concerts Classiques d'Épinal

Quatre-vingt-huit touches, cela peut paraître long et court à la fois. Une distance qui va de 145 à 155 cm selon les instruments. Reconnaissons toutefois qu'assis au clavier, chacun des musiciens est très à l'aise et si l'on veut bien être honnête, force est bien de constater qu'il y a de la place pour deux. Preuve par l'exemple avec la venue ce dimanche 13 octobre de Philippe Bianconi et Clément Lefebvre sur la scène de la Louvière. Ou la réunion derrière le clavier de deux générations avec en filigrane la programmation d'oeuvres voluptueuses et contemplatives de Maurice Ravel et Claude Debussy. Miroirs de Ravel, le Livre 2 des Images de Claude Debussy avant de déguster La Mer, version de Debussy à quatre mains et Ma Mère l'Oye de Maurice Ravel.
Schématiquement, il convient de rappeler ici que le premier des deux pianistes joue la partie aigüe, dite "prima", notée sur deux clés de sol qui fait le plus souvent entendre le thème principal, le "chant" , tandis que le second des artistes, assis donc à gauche du premier,  joue une partie plus grave, dite "seconda", notée sur deux clés de fa, plutôt consacrée à l'accompagnement et à l'enrichissement de la mélodie principale.
Bien sûr, il ne s'agit que du canevas de base puisque la notation est susceptible de changer en termes de clés, et que le thème se ferait éventuellement un malin plaisir à se balader entre les parties.
Et si vous ajoutez une dévouée tourneuse de pages (merci Françoise !) à l'extrémité du clavier, vous vous dites que le piano à quatre mains en comporte finalement beaucoup plus.
Bref, ce concert a montré une nouvelle fois combien la quintessence du clavier ne se résume pas qu'au toucher mais bien à l'expression et à la dynamique mise en oeuvre. Philippe Bianconi et Clément Lefebvre ont, de plus, montré tout l'enthousiasme que procure l'énergie d'une oeuvre comme La Mer. Toujours précis, inventifs, forts d'une gestuelle bien à eux, ils ont tiré les oeuvres du jour vers le haut sans jamais baisser d'intensité. Ce concert restera comme une référence, un moment unique, une parenthèse ardente, bref, comme un instant d'exception dans le monde des Concerts Classiques d'Epinal.
Jean-Pierre Begel

© Concerts Classiques d'Épinal

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Les Échos du Concert du Samedi 21 septembre 2024

L'élégance au bout de la baguette

© Dominique Beaumont

Sauf erreur, la dernière visite vosgienne - à Remiremont - de l'Orchestre philharmonique de Strasbourg remonte au début des années 90. Et encore, l'effectif se limitait aux percussions, aux cuivres et aux bois puisqu'il s'agissait de Et exspecto resurrectionem mortuorum d'Olivier Messiaen dirigé en présence du compositeur par Theodor Guschlbauer. Il aura donc fallu attendre plus de 30 ans pour que l'invitation soit formulée par les Concerts Classiques. Entretemps, l'orchestre aura connu plusieurs directeurs musicaux : Theodor Guschlbauer, Jan Latham-Koenig, Marc Albrecht, Marko Letonja et, depuis 2021, Aziz Shokhakimov. Et il n'aura pas perdu sa richesse sonore, à la fois française par la clarté du son et germanique par la densité de sa texture. Ces qualités auront d'ailleurs convaincu John Nelson d'entreprendre l'enregistrement pour Warner Classics de quelques disques Berlioz salués par la presse nationale et internationale. En particulier, Les Troyens qui a effacé de nos mémoires d'autres références signées Rafaël Kubelik ou Sir Colin Davis.
À la Rotonde de Thaon-les-Vosges, le 21 septembre, la direction a échu à la jeune cheffe d'orchestre bulgare Delyana Lazarova qui n'a manqué ni d'énergie ni de musicalité pour entraîner les musiciens dans une somptueuse Septième symphonie en la majeur opus 92 de Beethoven. Plus que l'idée mélodique, cette symphonie que Wagner identifia à une Apothéose de la danse repose essentiellement sur une configuration rythmique culminant dans un finale, Allegro brio, de plus en plus échevelé, aboutissant à une vertigineuse effervescence sonore. D'emblée, on put apprécier la précision du geste musical, l'élan naturel, le contrôle d'un orchestre qui peut nuancer à l'extrême sans surcharge expressive et la maîtrise souveraine du discours qui ne s'appesantit jamais, notamment dans l'Allegretto.
Ce concert avait débuté avec l'audition de l'Élégie pour cordes de Leonard Kussner, jeune compositeur allemand né en 1993. Une oeuvre contemporaine que les partisans d'une radicalité dans l'écriture aura déçu, car la partition revendique un renouveau de la tonalité et une séduction, voire une adhésion immédiate. Le compositeur précise que son Élégie empreinte de mélancolie « dépeint l'impression de déchirement ressentie lorsque, recherchant à reconstituer dans le présent un sentiment déjà éprouvé par le passé, on n'en retrouve avec justesse ni la même vivacité ni la même couleur. » Le pupitre très homogène des cordes mené par Philippe Lindecker s'en empare avec un évident plaisir, jouant sur les couleurs et la diversité des climats d'une oeuvre à laquelle fera écho la Pavane de Gabriel Fauré donnée en bis.
Entre la contemporanéité de l'Élégie pour cordes et le romantisme de la Septième symphonie de Beethoven aura résonné le Concerto pour hautbois en ré majeur de Mozart interprété par le hautbois solo de l'OPS, Samuel Retaillaud, dont le public a pu apprécier l'élan de la pulsation, le lyrisme du phrasé et l'attention de la cheffe à l'écoute de ses intentions. En bis, le soliste a remercié l'enthousiasme du public avec la Sinfonia de la Cantate Ich steh mit einem Fuß im Grabe BWV 156 de Jean-Sébastien Bach.
Un début de saison en « apothéose » !
Olivier Erouart

© Dominique Beaumont

© Dominique Beaumont