Les échos de la saison 2017/2018
Les Echos du Concert du 29 mars 2018
La Criée
Pour le concert de clôture de la saison 2017/2018, les Concerts Classiques d'Épinal ont une nouvelle fois donné dans l'innovation : un Concert à la Criée, effet de surprise garanti.
En invitant Gilles Colliard et l'Orchestre de Chambre de Toulouse, les organisateurs ont confirmé leur intention de faire davantage participer leur public aux réjouissances. Après la mise à disposition de boîtes à idées à chaque concert, le public est devenu, le temps d'un final insolite, acteur de la programmation, en choisissant le menu au dernier moment. C'est un redoutable défi que devaient relever les musiciens : monter sur scène sans savoir exactement ce qu'ils allaient jouer. La salle avait les cartes en main, sous la forme d'un menu plein de surprises. Elle était invitée à choisir, après un amuse-bouche offert, deux entrées au choix, deux plats au choix, deux fromages au choix, avant la surprise du chef comme dessert.
Pour ce Concert inédit, avec à l'affiche les plus grands compositeurs, ce furent finalement dix oeuvres magistrales du répertoire classique qui furent interprétées par un chef et des musiciens complices pour des convives de plus en plus gourmands. De Mozart à Vivaldi, en passant par Britten, Holst et Joplin, non sans détours du côté de Dvorák, Grieg, Rameau ou Saint Saëns, l'Orchestre a su marier avec talent éclectisme et excellence.
Les cris du public, auxquels se mêlaient ceux des enfants de la classe Orchestre de l'école Jean Macé, ont donné le tempo d'une soirée ludique et festive qui a terminé la saison sous les bravos.
Les Echos du Concert du 11 mars 2018
La Basilique enchantée par Les Cris de Paris
La compagnie Les Cris de Paris, animée avec maestria par un Geoffroy Jourdain inspiré, a offert un superbe cadeau aux mélomanes vosgiens en interprétant à la basilique d'Épinal, en avant-première, une Création « Mélancholia », suite de madrigaux et motets de la Renaissance. Dans un amphithéâtre reconstitué par sa mise en scène, Geoffroy Jourdain a suscité la connivence entre les artistes et le public jusqu'à l'empathie esthétique et spirituelle.
Dans ce décor majestueux, magnifié par un éclairage indirect sublimant colonnes et sculptures, les chants élégiaques, rythmés par intermittences par la viole de gambe, ont distillé leur tristesse infinie jusqu'à gagner la moindre parcelle de l'édifice, animant et pénétrant la pierre d'une langueur douloureuse et emportant le public subjugué par tant de désespoir et de beauté. La sublime pureté des voix, mêlées ou alternées, hante encore l'abside de la Basilique, comme un écho sorti soudain des profondeurs du temps, lancinant et psalmodié par des ombres furtives.
Geoffroy Jourdain, en état de grâce, se gardait bien de diriger, mais accouchait littéralement son corps de chanteurs de la musique de l'âme la plus subtile. Pouvaient alors s'inscrire à même la pierre les cris d'effroi des malheureux pécheurs, purifiés par la poésie d'une avant-garde musicale effarée par ses propres audaces.
On reste saisi par une telle maîtrise pour exacerber les émotions et par une telle modernité pour harmoniser assonances et dissonances. Au bout de cette errance nocturne entre angoisses et souffrances, tel un exorciste, la musique finit par nous libérer de la mélancolie qui nous étreint. Au sortir des ténèbres, des voix nous montrent le chemin de lumière, l'art : « La, la, la... »
Les Echos du Concert du 18 Février 2018
A Bocca Chiusa : un quatuor talentueux
En nous faisant revisiter a cappella l'histoire de la chanson française et internationale, le groupe vocal A Bocca Chiusa a très vite mis le public spinalien dans sa poche par sa spontanéité, sa fantaisie et son talent. Mélange des genres, des styles et des tonalités, il a déroulé un écheveau de friandises douces ou amères, acidulées ou sirupeuses.
« Name that tune », comme dirait Grayston Ives, invite à une redécouverte ludique. Malicieuses ces onomatopées envolées du répertoire de Clément Janequin. Etonnantes sonorités tout à la fois latines et contemporaines sorties du plain-chant d'Ola Gjeilo. Plus solennel et recueilli le madrigal à quatre voix de John Farmer. Insolente la version d'Anne Sylvestre de la lettre à Elise. Provocateur Bobby Lapointe entre Aragon et Castille. Rêveur Trénet, inspiré par la Mer, ou par le rendez-vous impossible entre le Soleil et la Lune. Profondes, ces mélodies irlandaises qui révèlent l'âme d'un peuple fier. Poignante l'interprétation du thème de Titanic, popularisé par Céline Dion.
Et, comme d'un collier de fleurs, s'exhalèrent les parfums des tubes anglo-saxons. Try to remember nous souffle Harvey Schmidt : Black bird, Only you, Moon river, My hearth will go on, Get around... Sans oublier la poésie soufie de This Marriage, la mixité raciale de Lollipop ou l'élan irrésistible de We go together.
Souligné par un décor sobre et une gestuelle sublimant les effets de voix magnifiques, le tour de chant bien enlevé a emporté l'adhésion d'une salle comble et ravie. L'enfant du pays, Caroline Michel, pouvait conclure l'heureuse prestation du quatuor : « Merci aux Concerts Classiques, merci Epinal ».
Les Echos du Concert du 28 Janvier 2018
Récital de Michaël Levinas
Lentement, Michael Levinas s'approcha de son piano-espace comme on entre dans un lieu sacré. Il aborda la Grande Sonate de Beethoven avec toute la considération qui sied à un beethovénien incontesté : ample et décidé dans l'attaque, puis grave et beau dans la gestion ralentie de l'espace musical et des silences, enfin grandiose dans le déploiement des charmes sonores du finale. Alors, son interprétation de « Fantaisie » libéra son empathie avec l'exaltation propre à ce que Robert Schumann a probablement fait de plus passionné. Après l'entracte, il épousa comme il se doit les variations de tonalités des quatre Préludes du Premier Livre de Debussy, tantôt avec fougue, tantôt avec délicatesse. Enfin, c'est avec beaucoup de finesse qu'il aborda « L'Isle Joyeuse » pour traduire les synesthésies entre musique et peinture et nous embarquer dans une invitation au voyage insouciante et frivole.
Pédagogue avec les élèves de l'option « Musique » du Lycée Claude Gellée ou chercheur à son piano-laboratoire pour un public averti : avec Michaël Levinas la musique est une forme d'alchimie ; il ébauche les sons comme des battements d'aile. Son toucher pianistique délicat égrène des correspondances polyphoniques qui frôlent la transparence et l'apesanteur. Nous reviennent alors en mémoire les mots dont il gratifiait son Petit Prince, inspiré de Saint-Exupéry : « Il exprime à la fois le merveilleux, la grâce, mais aussi la fragilité ultime et la gravité face au réel humain et impitoyable : c'est là sa force paradoxale. »
Les Echos du Concert du 7 Janvier 2018
Un triomphe pour l'ONL au Concert du Nouvel An
C'était jour de fête à la Rotonde. Le rendez-vous à Vienne a très vite tourné à l'émerveillement. La ronde des artistes, messagers de la musique viennoise, a fini par emporter le public dans un tourbillon musical qui n'en finissait plus, tant le talentueux et charismatique Jacques Mercier, l'Orchestre National de Lorraine à son meilleur niveau et la foule conquise ont communié dans un grand élan fusionnel.
L'ouverture très enlevée des Joyeuses Commères de Windsor de Nicolai a donné le ton. Puis l'opérette très populaire de Johann Strauss fils, le Baron Tzigane, a scellé un mariage inédit entre le folklore tzigane et la sensibilité viennoise. C'est alors que retentit la célèbre Danse Hongroise n°5 de Brahms, marquée par un audacieux changement de thème brusque et déroutant. Bientôt le rythme des danses populaires slaves, avec la n°2 de Dvořák, tournait les têtes, quand s'immisça une oeuvre gaie, pleine d'esprit, Tritsch-Tratsch Polka, où Johann Strauss fils titille les commérages viennois. En phase, mais avec une écriture plus moderne dans Humoresque n°3, Jean Sibélius puise aux sources de la musique folklorique finlandaise. Quand Csárdás vient déjà clore la première partie sur un rythme effréné, insufflé par Johann Strauss fils.
La seconde partie ne laisse pas le public reprendre son souffle : provocatrice, dans la courte pièce d'humeur, Humoresque n°7 de Dvořák ; surprenante, en mêlant valse viennoise et charme parisien dans Wiener Bonbons; festive, avec le frère Joseph Strauss dans Plaffermaülchen ; magistrale, avec l'ouverture romantique de l'opéra les Fées du Rhin d'Offenbach ; fascinante, en enveloppant la salle comble du charme ensorcelant du Beau Danube Bleu.
Le public inassouvi a rappelé trois fois Jacques Mercier pour des bis échevelés. Epuisé, le talentueux chef de l'ONL laissa son orchestre attaquer l'incontournable Marche de Radetzky, puis complice avec la foule enthousiaste, tel un maître de ballet, conduisit avec maestria ses salves d'applaudissements. « Inoubliable » entendait-on à la sortie. Jean-Pierre Moinaux avait prévenu en accueillant le nouveau Préfet des Vosges : « Dans les Vosges, c'est par l'art pour le peuple. »
Les Echos du Concert du 17 Décembre 2017
Des connivences subtiles
Ils se connaissent depuis l'enfance et jouent ensemble depuis 20 ans. Déborah Nemtanu et Pierre Fouchenneret, ensemble ou séparément, avec ou sans Sarah Nemtanu, représentent à l'envi la nouvelle génération d'artistes, en l'occurrence de violonistes, dont les carrières s'entrecroisent au gré des affinités musicales. Mais quand les liens familiaux ou d'amitié transcendent le travail en commun, les interprétations se font connivences subtiles et complicités esthétiques.
Ce dimanche à l'Auditorium de la Louvière, leur talent conjugué a conquis un public connaisseur et avide de découvertes. Le programme éclectique s'annonçait porteur de promesses et de surprises. Il n'a pas été déçu. La Sonate en Ré Majeur de Viotti mariait avec élégance les charmes de l'art classique, les prémisses du romantisme et la technique violonistique moderne. Sans transition, mais avec des messages pédagogiques appréciés du public, le duo nous entraînait au rythme des danses populaires de Béla Bartók, faisant soudain surgir de Transylvanie, avec humour ou nostalgie, la vie des paysans et les chants d'autrefois. Quoi de plus révélateur de leur variété et de leur originalité que la musique aux entrelacs inattendus de Bartók, traduite par toutes les couleurs de leurs instruments. Avec la Sonate pour deux violons de Prokofiev, soudain surgissait la patte d'un grand compositeur d'avant-garde très créatif que le duo de violonistes a sublimé avec technicité et empathie.
C'est à juste titre que les mélomanes spinaliens ont réservé un accueil à la mesure de leur brio à Déborah Nemtanu et Pierre Fouchenneret, qui ont quitté la scène sous des applaudissements nourris et mérités.
Les Echos du Concert du 10 Décembre 2017
De la grande musique
La musique est universelle. Mais quand les artistes jouent à saute-frontières, c'est encore plus vrai. Leipzig, Epinal, Berlin, la musique les porte de part et d'autre des anciennes limites qui ont profondément marqué l'histoire de nos régions transfrontalières. De l'Est à l'Ouest de l'Allemagne jusqu'à la Lorraine, et bien au-delà, Conrad Muck, Tilman Büning, Ivo Bauer et Matthias Moosdorf mettent leur talent au service d'une évidence. Initiateurs du cycle « Quatuors à cordes de Beethoven », symbole de l'amitié européenne, unis avec 15 autres ensembles, dans quinze villes musicales d'Europe : avec eux, la musique illustre profondément la capacité des hommes à surmonter la tragédie pour irriguer la paix.
Le Leipziger Streichquartett n'a pas failli à la tradition germanique. Présentation impeccable, ponctualité, rigueur technique, équilibre parfait, les morceaux s'enchaînent sans fioritures mais avec une grande justesse. Presque sans s'en rendre compte, on traverse les siècles avec Beethoven, heureuse rencontre que cette « Grosse Fuge » qui en a surpris plus d'un, tant elle transcende l'oeuvre du compositeur ; puis avec les romantiques, toujours chers au public, Schumann et Brahms pour un grand moment d'émotion. Ultime cadeau final en forme de signature anachronique et esthétique, un Choral de Bach magnifiquement interprété. Il est jusqu'à leurs instruments mêmes, qui traduisent cet itinéraire initiatique et magique dans l'espace et dans le temps qu'ils semblent tracer : Crémone 1697 pour le violoncelle, Turin 1741 et Venise 1763 pour les deux violons et Gênes 1860 pour l'alto.
Ce dimanche à Epinal, le Leipzig Quartet a justifié sa réputation internationale et son diapason d'or. Le public aurait aimé les garder plus longtemps, mais ils s'en sont retournés, en toute discrétion, comme ils ont joué, tout entiers voués à la grande musique.
Les Echos du Concert du 26 novembre 2017
Sous le charme
Ils sont repartis comme ils sont venus ; lui, concentré et inspiré avec son précieux violoncelle sur le dos, elle avec distinction et légèreté du geste. La classe tout simplement.
Les Concerts Classiques avaient annoncé un grand moment, sûrs d'avoir déniché deux vraies pépites. Les amoureux de la grande musique n'ont pas été déçus. La brillante carrière internationale des deux artistes et leurs affinités musicales avec les plus grands ne laissaient guère de doute. Mais leur prestation exceptionnelle à Epinal et leur précieux contact avec le public, jusqu'à une séance de dédicaces très prisée, en ont séduit plus d'un.
Ce dimanche, le décor bleuté, intimiste, laissait présager un concert envoûtant. Dès les premières notes du Steinway mêlé à celles du Stradivarius, le public est sous le charme, comme sidéré par tant de grâce. Henri Demarquette et Vanessa Benelli Mosell, c'est le talent à l'état pur.
Les morceaux s'enchaînent comme autant de bijoux délicatement offerts à la passion des mélomanes. La séduction joue pleinement au fur et à mesure que défilent avec élégance et fougue Rachmaninov, Franck, Massenet, Debussy, Ravel, De Falla, Piazzolla, Glass... Oubliées les rigueurs du temps, ne compte plus que ce bouquet d'harmonies qui n'en finit plus d'embaumer. Au point que les artistes eux-mêmes semblent emportés par leur propre élan. L'osmose qui les lie n'a d'égale que l'avidité du public qui les retient de bis en bis.
Et quand les projecteurs s'éteignent, beaucoup restent accrochés à leur siège, prêts à les écouter toute la nuit.
Les Echos du Concert du 22 octobre 2017
Un duo percutant et inspiré à l'Auditorium de la Louvière
Le Concert a été précédé la veille par 2 masterclass en partenariat avec le Conservatoire Gautier-d'Epinal : un moment privilégié par ce dialogue de clarinettes entre Rémi et les enfants, dans un échange singulier de subtilités techniques, d'émotions esthétiques, pour le plaisir de jouer ensemble. Chacun des artistes a animé sa classe avec son tempérament : écoute et patience chez Rémi qui transmet son art par l'accompagnement attentionné et scrupuleux de l'élève ; enthousiasme et dynamisme chez Vassilena qui communique avec son marimba son bonheur de créer, d'improviser et sa joie de vivre.
Le Concert lui-même, comme Vassilena l'a revécu dès le lendemain matin sur France Musique, a été « Super ! » (sic). « Un grand triomphe, tout le monde a adoré. » Pour elle, chaque prestation est une aventure humaine, une expérience unique, comme à Epinal avec des mélomanes éclairés et les élèves de la future classe orchestre de l'école Jean Macé.
Vassilena SERAFIMOVA et Rémi DELANGLE, c'est vrai, nous ont embarqués pour un voyage où se mêlaient musiques savantes, classiques, populaires et folkloriques. Qu'ils jouent Bartók, De Falla, des danses des Balkans, ou qu'ils improvisent, ils ont l'art de transmettre une passion et une générosité contagieuses. Avec une programmation à la frontière des genres, ils ont su marier les instruments, les timbres, les styles, les cultures.
Un grand moment, où la musique est tantôt recherche acoustique, tantôt lumineuse ou intimiste, mais toujours inspirée et universelle.
Les Echos du Concert du 24 septembre 2017
Magique, le concert du 24 septembre 2017
Il est des lieux où la générosité déborde, l'humanité dévore et la musique s'épanouit. Le Festival des Concerts Classiques d'Épinal fait incontestablement partie de ceux-là. Dès mon arrivée dans cette magnifique salle de la Rotonde à Thaon-les-Vosges, j'ai été immédiatement enveloppé d'une bienveillante présence qui n'a cessé de m'accompagner jusqu'à mon départ. Pour des artistes, perpétuellement sur la route, sur la brèche : c'est essentiel. Outre la beauté du lieu, la magie qui s'en dégage, j'ai pu me rendre compte de la qualité acoustique qu'il offrait : réverbération naturelle flatteuse sans artifice, précision des timbres, espace du plateau et hauteur de plafond permettant une restitution riche de brillance sans aucune saturation, même dans les tutti les plus cuivrés.
Le répertoire proposé par la Musique des Gardiens de la Paix ne manquait pas de dynamique : Ouverture Américaine, programme haut en couleurs où mon concerto "Manhattan Skyline" était, avec toute la modestie qui s'impose, merveilleusement entouré d'oeuvres de Bernstein, Copland, Ellerby et Gershwin.
Enfin, et c'est peut-être le plus important, j'ai senti que nous étions en présence d'un public averti, exigeant, et populaire à la fois. Un public comblé engendre des artistes enchantés !
Olivier CALMEL
Compositeur, orchestrateur, pianiste