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Par le quatuor "ARPEGGIONE", un CHOSTAKOVITCH politiquement incorrect.

Avec la révélation du quatuor "ARPEGGIONE", le second concert de l'Association des "CONCERTS CLASSIQUES" spinaliens vient de signer un retour logique à sa liturgie de base: la musique de chambre. Une oasis de lumière, de réflexion, de rigueur aussi, lorsque le public de connaisseurs sait résister aux charmes des sirènes symphoniques ou aux fallacieux artifices des concerts de grande consommation.

Les toutes récentes révélations ou confirmations de l'énorme production de Dimitri CHOSTAKOVITCH (qui partage avec Benjamin BRITTEN et Béla BARTÓK la notoriété d'un 20ème  ème siècle musical foisonnant) ont mis en lumière combien le quatuor à cordes offrit au génie de CHOSTAKOVITCH l'occasion de montrer sa force créatrice, à des moments où le courage servait de moteur à l'expression d'un idéal politiquement incorrect, au regard d'un système autocratique, réducteur et sclérosant pour les artistes et les musiciens.

En mettant à leur programme le 10ème quatuor de CHOSTAKOVITCH, les Géorgiens du quatuor "ARPEGGIONE"  ont voulu rendre hommage au compositeur engagé qui, en 1964, en plein délire soviétique, a composé ce quatuor en amitié avec son partenaire juif de piano à quatre mains. Un quatuor surprenant par sa rudesse, par son atmosphère austère, voire brutale, par la rigueur de l'écriture, qui fait aussi sa richesse. Les "ARPEGGIONE" en ont donné une démonstration à la fois respectueuse et inquiétante: des instants d'âpreté, de violence rythmique, nées d'une simple cellule thématique et rythmique qui parcourt les quatre mouvements.

Quatre mouvements au milieu desquels plane un inattendu adagio qui ne va pas sans rappeler un autre adagio de Joseph HAYDN écouté peu avant, marqué, lui, par une poussée nostalgique du "Sturm und drang". Ce 10ème quatuor en la-bémol (cette tonalité n'est pas innocente: elle teinte l'ensemble d'un coloris revendicateur ou provocateur) a été abordé avec une conscience aigüe du message politique, par les quatre interprètes, spécialistes de ce répertoire. La cohésion du groupe a été fermement assurée par les deux violons: la Messine Isabelle FLORY, et Nicolas RISLER qui ont constamment porté attention au respect des accents, aussi bien dans CHOSTAKOVITCH que dans SCHUBERT. Tandis que l'altiste Artchyl KHARADZE (très beau dans le médium) et le violoncelliste Alexandre TCHIDJAVADZE (excellent phrasé) étaient aux prises avec des traits d'écriture particulièrement coriaces. La révélation, pour beaucoup, de ce 10ème quatuor, s'est imposée comme le meilleur moment de la soirée, comme le plus poignant; Ce programme était par ailleurs bien équilibré, avec un HAYDN de grand-papa, puis un Schubert rayonnant de bonheur, son 13ème  quatuor en la mineur, une tonalité cette fois moins dramatique et moins pesante que le la-bémol de CHOSTAKOVITCH!

Certes, le quatuor de Joseph HAYDN aurait peut-être trouvé un cadre mieux adapté, plus intime, plus bourgeois, dans la bonbonnière municipale? Mais méfions-nous des pères tranquilles tel
HAYDN. Leurs adagios recouvrent souvent dans leur recherche d'intimité, un besoin de se libérer des carcans de leur époque, fussent-ils ceux imposés par leurs princes éclairés!

Avec le quatuor "ROSAMONDE" du prolixe SCHUBERT, les "ARPEGGIONE" en hommage à celui-ci, ont su peaufiner cette page de joie de vivre, bien qu'elle soit contemporaine de cet autre quatuor "La jeune fille et la mort". Comme quoi, la devise sur le blason de SCHUBERT pouvait se lire: "'VITA EST LUX ET UMBRA"
Finalement, ces "ARPEGGIONE", qu'ont-ils en commun avec l'âpreté d'un CHOSTAKOVITCH et la joliesse de la musique de scène d'un SCHUBERT? L'amour du quatuor, un langage qu'ils pratiquent avec un talent collectif, c'est certain. Mais surtout l'amour de la musique universelle et intemporelle qu'ils savent faire aimer, à l'image de cette miniature intitulée "La Source", page reposante d'un compositeur Georgien de leurs amis. Ne sont-ils pas de talentueux et efficaces ambassadeurs de la musique sans frontières?

P.J.

 

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